Ode à Claude Marti
Domi (v. lien "Poussière d'étoiles") m’a donné envie ce soir de conter un peu l'histoire de l'Aude « doux pays de mon enfance »…
Le donjon d'Arques (11)
L’Aude c’est bien sûr la cité de Carcassonne, l’Abbé Saunière et le Trésor des Templiers, les Châteaux Cathares, la Blanquette de Limoux, le cassoulet de Castelnaudary… et puis et puis Claude Marti… Parce que le bonheur, c’est çà aussi : lire et écouter Claude Marti… Tu (Vous) connais(sez) ?
Claude Marti: Figure emblématique de toutes les résistances dans le Midi de la France dès le début des années soixante-dix, Claude Marti poursuit, depuis, une longue et créative carrière de chanteur, de poète, d’écrivain, de compositeur, de chroniqueur de presse. Il a à son actif le grand prix de l’académie Charles-Cros, des musiques de film pour la TV, et pour le cinéma, dont Conte d’automne, d’Éric Rohmer, plusieurs livres édités, dont Ombres et Lumières, chez Loubatières. Les chants de son dernier disque El Jinete (le cavalier) racontent l’histoire d’une quête au carrefour de trois langues - l’espagnol des aïeuls, le français de l’instituteur républicain, l’occitan du poète - qui disent les racines et la fidélité du troubadour.
Il a écrit entre 1995 et 1998 des chroniques pour la Dépêche du Midi parmi lesquelles…
une ode aux mots nés en pays d’Aude…
Claude, cette Aude fleure bon le terroir… la « fangue » rouge argile après la pluie…
« Riches et musiciens »
« Habitant des pays d’Oc, méridional mon frère, tu le sais que nous sommes tous riches et musiciens ? Riches en mots et musiciens de phrases.
Un exemple : le robinet de ton évier pourtant bien fermé laisse échapper de l’eau. Tu peux banalement l’exprimer par cette phrase : « Le robinet de mon évier fuit ». Je te fais maintenant la même phrase, avec musique : « Le robinet de mon évier goutège ». Là c’est autre chose : tu entends, tu entends le petit bruit régulier des gouttes dans la bassine ? Ce rythme menu, obsédant, cette note répétée avec insistance par la tuyauterie métronome, tu dois tout çà au verbe sudiste « goutéjer ».
Autre exemple concernant une chute, d’abord registre neutre fleurant bon le manuel scolaire : « Joseph est tombé lourdement dans la boue ». Bon, il s’est peut-être fait mal, pas de quoi en faire un plat. Je te redonne la même séquence avec image et son : Joseph s’est espatarré dans la fangue ». Là c’est autre chose ! …/…
Goutéjer, s’espatarrer, fangue ont une drôle d’histoire : ce sont des travailleurs immigrés clandestins dans leur propre pays. Pour passer inaperçus, ils ont abandonné leurs costumes nationaux du temps où ils étaient les occitans « gotejar », « s’espatarrar », « fanga » et ils se sont habillés à la française.
Pendant longtemps, comme leurs centaines de semblables indigènes, ils ont dû se cacher au creux de nos conversations pour survivre, dépourvus d’état civil, de permis de travail, d’autorisation de s’écrire et parfois même de se parler ! …/…
Je réclame pour eux droit de cité, citoyenneté pleine et reconnue, écrite aussi bien qu’orale. Leurs droits sont les nôtres. Je veux pouvoir m’aganter une truite, m’espanter d’une belle histoire, m’espalanguer sur une chaise paillée, m’empéguer et faire un sagan de tous les diables, me baquer quand il fait chaud, castagner, mousséguer, graffigner, escaner, escagasser le mauvais sort et si c’est possible m’amaguer de la mort. »
28/01/96 La Dépêche du Midi