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Au gré du vent, à fleur d'eau
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3 janvier 2006

Le voyageur

RESOLUTION 2: J’avance au coeur de l’hiver à pas de printemps et je suis attentive au moindre rayon de lumière  que je croise sur ma route.

« Je l’avais immédiatement repéré, le voyageur, à cet endroit précis du quai où le hasard venait d’arrêter mon wagon. Le voyageur faisant une tache claire dans le gris de la foule empêtrée dans les bagages et les horaires. Rien ne semblait presser le voyageur qui paraissait goûter comme un privilège l’attente d’un train sur le bitume d’une gare poissée par le vent marin.

« Ce train continue vers Béziers, Agde, Sète… »

Le voyageur entre dans mon compartiment où sont déjà installés 100 kilomètres de silence et quatre personnes : un couple âgé , mots croisés sur les genoux, un jeune Beur branché sur baladeur et une étudiante qui relit ses cours.

Le voyageur n’a pas de bagages, seulement un paquet-cadeau joliment enrubanné qu’il pose délicatement à côté de lui sur un siège libre…

« Il se prépare une très belle journée, je resterai avec vous jusqu’à Nîmes, je m’appelle Christophe. »

Le voyageur vient de se présenter à ses voisins qui bredouillent en retour un bonjour pâteux…/… La porte du compartiment se ferme… Seul dans le couloir, j’allume une cigarette…/… Les roues du wagon battent la mesure d’un sommeil qui peu à peu, me saisit, je vais reprendre ma place assise dans le compartiment . Et là, surprise : l’espace s’est élargi, le contour des visages se dessine, les yeux brillent, peut-être un effet du soleil oblique qui monte au-dessus de la Méditerranée… Le couple âgé a rangé crayons et crucigrammes, le jeune Beur s’est débranché et l’étudiante a enfermé les « polycops » de la fac dans son cartable.

Le voyageur se tourne vers moi : « A vous, maintenant, ne soyez plus inquiet, désormais chacune de vos questions aura sa réponse ».

Je n’aime pas qu’on me devine : « Inquiet, moi ? Ca m’étonnerait ! »

Le voyageur sourit : « Le regard est la fenêtre de l’âme… »

Et le compartiment de s’enthousiasmer pour le voyageur : « Ce monsieur est peu ordinaire, il a deviné que nous allions voir nos petits-enfants à Mauguio ! » disent les mots croisés.

« Il a dit que le raï était une des plus belles musiques de la planète ! » ajoute le beur.

« Quant à ma licence, ce n’est pas le diable… » murmure l’étudiante. …/…

Agde, Sète, le train court au long de la mer latine. Allègrement. Le voyageur parle et nous écoutons : il avait du pain sur la planche, il avait beaucoup tardé ; le cancer, le sida, la famine et la peur des autres ne seraient bientôt plus qu’une parenthèse grise dans l’histoire des hommes puisqu’il était enfin de retour…

« Montpellier, vous êtes arrivé, je crois. » Le voyageur me secoue doucement, par l’épaule. Je m’étais certainement endormi. Pourtant, le compartiment au grand complet m’accompagne jusqu’à la porte donnant sur le quai… et, avant que l’escalator ne m’avale, j’entends la voix du voyageur qui me crie : « Confiance ! »

La gare est un lieu gris où transitent les destins, le hangar aux éphémères, qui filent tendus entre deux points de leur ligne de vie, une arrivée et un départ.

Un hangar gris avec, de temps à autre, une tache de lumière.

Chronique de Claude Marti, publiée dans la Dépêche du Midi le 28/12/97

gare_de_lyon_voyageurs1

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Commentaires
M
Et si tu es "à contre-courant" tant mieux ! Ce serait tellement monotone et désolant un monde où nous suivrions tous le même courant.<br /> Ravie que les trains attirent encore des voyageurs.
A
Je suis à contre courant puisque je continue de voyager par le train et que j'adore cela. Pas de stress, pas de fatigue, un bouquin des journaux, c’est généralement calme au moment ou je le prend sinon je m’isole dans la musique sous mon casque.
M
... il reste encore dans nos campagnes de toutes petites gares qui ont gardé leur charme d’antan mais on les ferme de plus en plus faute de rentabilité… Je connaissais le verbe « dérailler »… C’est Beau une histoire d’amour qui « s’enraille ». Bisou.
M
mais pas du tout! Vous vous protégez et vous avez bien raison. Bisous
M
... aussi émouvant… Elles sont belles ces émotions que l’on peut lire dans les gestes, les regards au moment des « départs » ou des « arrivées »… Ces personnes qui restent sur le quai mais qui accompagnent le train qui emporte leur bien-aimé(e) en marchant ou en courant jusqu’à ce qu’il quitte la gare…<br /> J’ai fermé les paupières pour trouver une suite : attention au ???? contrôleur :))), au voyageur qui partagera le compartiment :))), au rayon de lumière, au cœur, au voile de larmes, au souvenir, au ticket de train, au mouchoir...
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